PONT DE VAUX
Mémoire et autres curiosités
Musée Chintreuil
Du 8/7/1998 au 30/11/1998
UN MUSEE ET SON TERRITOIRE
Mieux vaut tard que jamais : après deux siècles d'existence, les musées découvrent qu'ils ne sont pas que des sanctuaires. Ils s'ouvrent, à la fois pour rencontrer les publics les plus divers, mais tout autant pour considérer - enfin - le monde qui les entoure. Le patrimoine n'est pas tout entier conservé au musée, loin s'en faut ; et ne saurait se limiter aux seules collections des musées.
Qu'un nouveau musée, ou un musée en renouveau, s'adresse à ses publics avec une première exposition consacré à ce patrimoine « hors les murs » est en soi un signe. Signe que le musée confirme son regard sur le patrimoine alentour, considère que sa conservation, son entretien, sa mise en valeur, relèvent de la même préoccupation que celle qui anime le conservateur pour les collections dont il a la charge.
Naguère, le musée se comportait en « prédateur » et prélevait sur son territoire de référence tous les objets et documents de quelque importance, historique, artistique, ethnographique... Avec la bonne conscience de celui qui œuvre pour le bien commun, sauvegarde des biens culturels dont les héritiers ne prendraient pas soin. Avec pour conséquence inéluctable un appauvrissement du cadre dans lequel nous vivons tous. Aujourd'hui, le conservateur se préoccupe d'abord de les conserver in situ, sur leur site d'origine ou d'installation, et ne se résout à les intégrer dans les collections que si le risque de disparition ou de détérioration est trop grand.
Ces nouveaux principes sont lourds de conséquences. Ils posent le musée comme un lieu fédérateur, un outil culturel dont les missions s'élargissent à son environnement. Comment en effet justifier les efforts d'une collectivité, quelle qu'elle soit, pour la mise en valeur de son musée si, dans le même temps, elle laisse à l'abandon le patrimoine dispersé sur son territoire ? Le musée n'est-il pas, dans de telles conditions, le cache misère d'une politique patrimoniale ? Alors qu'il peut être, de plus en plus, un partenaire des politiques d'aménagement, tant en milieu urbain qu'en milieu rural, pour conseiller les décideurs en matière de conservation des éléments patrimoniaux, objets mobiliers comme ensembles bâtis. Ce type de politique a en outre pour effet de conforter toutes les actions de développement touristique, le musée devenant un atout, un moyen de renvoyer le visiteur sur les sites alentour au lieu de le garder « captif ».
Il reste que la notion de patrimoine n'a plus de limite. Qu'elle ne se définit plus objectivement, sur des critères rigoureux, mais par le regard que l'on porte sur les éléments qui nous entourent. Ainsi découvrons-nous, à travers les photographies de Philippe Le Bihan, que la région de Pont-de-Vaux est d'abord riche de ses paysages. Et que ceux-ci sont constitués d'une multitude de composantes, et notamment des formes de ce « petit » patrimoine qui fait l'exceptionnelle richesse de notre cadre de vie. Respecter ce paysage, voire l'entretenir si nécessaire, devient un acte de conservation par excellence.
Ainsi se définit un nouveau rôle pour le musée et lui assure une place de choix dans les politiques culturelles des années à venir. Ainsi aussi s'explique pour une bonne part, sans doute, son succès auprès des publics.
Jean Guibal, directeur de la Conservation du Patrimoine de l'Isère.
MEMOIRE ET AUTRES CURIOSITES
Le dictionnaire Larousse nous donne les définitions suivantes de ces deux mots :
- Mémoire : effet de la faculté de se souvenir, le souvenir lui-même.
- Curiosité(s) : désir de voir, de connaître. Curiosités : qualité de quelque chose d'étrange, d'original, de bizarre. Ce qui retient l'attention, l'intérêt.
La rénovation et l'agrandissement du Musée Antoine Chintreuil, la mise en réserve puis le redéploiement des collections ont créé autant d'opportunités de faire acte de mémoire et de curiosité avec une perception différente ; ces objets "morts", figés dans leur passé et une histoire remontant à plus d'un siècle sont revenus à la vie par la redécouverte qui en a été faite, par la magie de la restauration, par les liens qui ont pu être établis entre objets muséographiés, patrimoine et paysage.
Nouveaux regards pour un musée en renouveau qui nous entraînent du cabinet de curiosités du Musée A. Chintreuil au bâti traditionnel des fermes bressanes et à ce patrimoine que l'on dit "petit" dans un paysage de bocage et d'eau.
A l'origine de ce cabinet, la passion et la curiosité de collectionneurs, mémoire des amateurs du siècle dernier ; à l'origine de ces fermes bressanes, des savoir-faire ancestraux, mémoire et tradition d'un pays.
Le cabinet de curiosités présente pêle-mêle animaux exotiques et européens, coquillages et curiosités de la nature, costumes bressans et objets de pays lointains. De souvenirs, ils sont devenus objets collection et de musée par la volonté d'amateurs d'exotisme, de passionnés d'histoire naturelle ou encore par l'attachement des donateurs au passé et aux traditions de ce territoire.
Le paysage de bocage parsemé de fermes isolées raconte l'adaptation au terroir : enchevêtrement des matériaux tirés d'un sol d'où la pierre est absente (pisé, torchis, brique, galets et bois), demeures basses et longues, églises à galonnière au pied desquelles se blottissent des cimetières, trous d'eau et molles rivières...
Philippe Le Bihan et Jean-Pierre Bos, chacun avec sa sensibilité, sa perception des choses, ses choix, donnent leur vision personnelle de cette mémoire et de cette(ces) curiosité(s).
Réunis dans une même exposition, leur travaux témoignent des liens de plus en plus étroits qui se tissent entre musée et patrimoine, musée et territoire.
Brigitte Riboreau, conservateur du musée A. Chintreuil.
L'IMAGE POETIQUE
Lorsque venant pour la première fois au Musée Chintreuil, en 1995, j'ai vu, au passage, une exposition de photographies de Philippe Le Bihan, j'eus deux raisons de ne pas regretter cette visite. Car des ses courts paysages naquit le sentiment d'une découverte heureuse. « Une juste cadence » disait Boileau. C'est le mot exact. Il en va de la photographie comme de la poésie, c'est-à-dire, en fait, de tous les arts. Et si je dis de paysages qu'ils sont courts c'est dans le sens du prélude musical, forme courte dont la pensée doit être forte pour que, ramassée dans l'instant, elle parvienne à éclairer le monde qu'elle traverse d'une lumière inextinguible. Chopin. Mais aussi, plus proche, Webern, dont la musique est toujours concise, apanage de l'ellipse, apparente poussière de sons qui polarise, elle aussi, la lumière et en projette le subtil miroitement, presque sans bruit... Silhouette de femme qui d'Archiloque à Monet, continue d'enchanter sous l'ombrelle de sa pudeur.
Il y a de par le monde de très grands photographes, à n'en pas douter. Leurs œuvres circulent, leurs livres se multiplient et, comme dans tous les arts encore, les analyses et commentaires qui foudroieraient toute inclination à la résistance. Les maîtres sont là. Je n'en consigne pas moins une immodestie massive face à l'évènement que porte la photo, devenue bien évidemment message, où le tragique, le sordide et le morbide se partagent la place, comme celle que les hyènes finissent par faire bien nette. Que le monde soit cruel, ce n'est pas une nouveauté. L'habitude qu'il en a ne risque pas cependant d'abolir la conscience. La surenchère photographique ne saurait faire substitution.
Alors, revenons à l'image et plus précisément à l'image poétique dont Gaston Bachelard disait qu'elle « est un soudain relief du psychisme ». Enfin seuls !
Le seul regard, tout de reconnaissance à la terre, veut capter l'instant, mieux encore, y affleurer, comme pour le sauver d'une distraction fatale. L'acte de présence, l'idée m'est chère, silencieux, secret, mais fervent, auprès des choses et de leur beauté. La photographie de Philippe Le Bihan est tout incluse, me semble-t-il, dans cette relation essentielle qui reste, sous l'effet de l'image, « à l'origine de l'être parlant », je cite encore notre cher philosophe-poète Bachelard. La poésie est le langage premier. C'est pourquoi peut-être elle est tenue à une telle distance. Le dessin de l'enfant est un incessant rappel à cette criante vérité cependant mise en ordre comme on range un vieil objet dans un tiroir. Le prix du regard d'un tel photographe n'en est que plus élevé. L'angle d'un mur ou le jardin potager sont pour lui des moments aussi importants qu'une architecture savante. Mais ne sont-ils pas savants, eux aussi ?
C'est précisément là que l'œil rétablit les valeurs, gomme les hiérarchies, sans quoi la photographie n'est plus un acte. Et si elle conserve son exclusive dévotion au noir et blanc, c'est bien qu'elle désire sauvegarder l'imaginaire, le rêve, que la couleur tend à réduire par sa séduction trop proximale.
Les jeux de dégradés sur les seuls éléments de la non-couleur continuent, pour tous, de former l'espace d'une création. Mais l'ombre diagonale sur une façade bressane suscite une ligne de partage aussi déterminante que la relation majeur-mineur en musique. Le « relief » apparaît comme il le fera encore dans ces zones frontières que sont le gel et le dégel ou dans ces contrepoints entre troncs et piquets. Jusqu'en cet escalier qui, capté en deux modes, ouvre un chemin différent, presque contradictoire, dans le même volume intérieur.
Et que dire de ces trois croix (autre chemin) le long d'une même église, de cette « ligne de feu » tout juste retenue et pourtant péremptoire pour évoquer l'élevage bressan, de deux cygnes échappés de leurs bassins programmés, ou des canards morts dont les palmes renversées sont comme des feuilles qui ne tomberont jamais ? Le regard de Philippe Le Bihan est à la fois celui du passage et celui de la permanence, celui de l'immobilité, de l'attente, et celui du devenir.
Charpente ou mezzanine, forêt ou étangs crépusculaires transmués en branches de lumière des arbres noirs d'un premier plan, tout contribue à enrichir la mémoire ou, plus en amont, à la relever de l'usure du temps. Et dans cette mémoire aérée passent de grands vols de silence, telles des migrations vers le regain de chaleur, là où l'incantation se reprend. C'est à nous que le photographe offre une nouvelle saison. Mais il ne se montre pas. C'est tout juste si son doigt vient d'appuyer sur un bouton.
Et s'il surprend le regard extraordinairement fraternel de ces trois enfants - miracle de la sensation ! - c'est aussi pour dire, en une seule fois, que son univers poétique est le contraire d'un univers dépeuplé et que la gravité d'un jeune visage vient s'inscrire à jamais dans l'harmonie d'un langage retrouvé.
Lucien Guérinel, 21/03/1998
Pont de Vaux, 1998
Pont de Vaux, 1998
Pont de Vaux, 1995
Pont de Vaux, 1997
Pont de Vaux, 1995
Pont de Vaux, 1995
Pont de Vaux, 1995
Pont de Vaux, 1995
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